Le récit de la libération sexuelle moderne semble convaincant à tant de gens parce qu’il est basé sur des croyances de fond concernant l’identité et la liberté, qui nous ont été profondément inculquées par les institutions culturelles depuis près de trois générations.
L’identité
Les interdictions chrétiennes concernant le mariage, l’homosexualité et le transgenrisme n’ont aucun sens pour la plupart des gens, car ils croient que la sexualité est essentielle à l’expression de l’identité. Et derrière cette croyance se cache le concept même du moi moderne.
Dans notre culture, la sexualité n’est plus considérée comme un moyen d’honorer Dieu et de créer et cultiver une nouvelle vie humaine. La plupart des gens pensent à peu près ceci : « Si vous voulez utiliser la sexualité pour élever une nouvelle vie humaine, c’est une option et un choix, mais ce n’est pas la raison principale pour laquelle les gens ont des rapports sexuels. La sexualité sert plutôt à l’épanouissement individuel et à la réalisation de soi ». Cette vision moderne de l’identité est souvent appelée « individualisme expressif ». C’est l’idée selon laquelle au plus profond de soi se trouvent des sentiments et des désirs qui doivent être découverts, libérés et exprimés ; c’est par ce seul moyen que l’on peut vraiment devenir soi-même. L’identité se trouve aujourd’hui dans les désirs de chacun, alors qu’autrefois elle se trouvait dans les devoirs et les relations avec Dieu, la famille et la communauté. Le fait de déterminer ses désirs sexuels et de les mettre en œuvre est considéré comme un élément clé de ce processus visant à devenir une personne authentique.
Aujourd’hui, cette vision de l’identité n’est pas véhiculée avec des arguments, mais plutôt présentée comme une simple évidence, qui ne souffre aucune remise en question. Des slogans tels que « sois vrai vis-à-vis de toi-même » et « vis ta propre vérité » sont répétés d’innombrables façons, verbales et non verbales, et s’inscrivent profondément dans le cœur des gens. Tout autre point de vue est considéré comme psychologiquement répressif et donc malsain.
Mais le moi moderne est extrêmement fragile. Parce qu’il ne repose que sur des sentiments intérieurs, il change d’une année à l’autre, voire d’un mois à l’autre. L’identité moderne impose, pour déterminer un « moi » fondamental, de se lancer dans une quête à travers des émotions et des désirs toujours changeants et souvent contradictoires. Et une fois que vous avez décidé qui vous voulez être, il ne tient qu’à vous d’y parvenir, que votre famille et votre communauté vous soutiennent ou non. Le moi moderne est donc fortement axé sur la performance et peut constituer un fardeau écrasant. Un autre problème est que cette vision de l’identité exige un « relativisme mou ». Notre société nous apprend à dire : « Je suis le seul à pouvoir déterminer le bien et le mal pour moi-même », même si, l’instant d’après, notre culture impose aux gens un ensemble très précis de normes morales. C’est profondément contradictoire : dicter des absolus moraux tout en insistant sur le fait que nous sommes désormais libérés de toutes ces vérités. À tous ces égards, le moi moderne et la vision de l’identité sont instables et problématiques, même s’ils semblent dominants.
Liberté et pouvoir
À cette vision individualiste de l’identité – dont on peut dire qu’elle a gagné en influence culturelle depuis au moins la période du Romantisme du début du XIXème siècle – s’est ajoutée la vision postmoderne de la liberté et du pouvoir. Selon cette vision, le pouvoir dans la culture s’exerce par le biais de « discours dominants » – à savoir le langage et les affirmations de vérité – produits par les élites qui occupent les hauts lieux de la culture. Tout ce que nous considérons comme bon, vrai, juste et beau a été construit par les « systèmes discursifs » d’une culture particulière. Nous ne pouvons être libres de nous créer nous-mêmes qu’en « déstabilisant les discours dominants ». Par exemple, si nous voulons inclure les personnes transgenres dans la société, la voie à suivre ne consiste pas seulement à faire preuve de compassion à l’égard des individus. Nous devons plutôt déconstruire l’idée même d’un genre binaire. Ce n’est qu’à cette condition que les personnes transgenres auront une place égale dans la société.
Les problèmes posés par cette vision postmoderne de la liberté et du pouvoir sont aussi importants que la vision moderne de l’identité. Elle engendre un « relativisme dur » auto-contradictoire. Si tous les systèmes sociaux sont des chaînes de pouvoir forgées par le discours – de sorte que toutes les affirmations de vérité et tous les jugements moraux ne sont en fait que des moyens d’exercer le pouvoir – alors pourquoi un ensemble particulier de détenteurs de pouvoir serait-il « mauvais » ou « injuste » ? Comment déterminer quels ensembles de relations de pouvoir socialement structurées sont injustes (et lesquels ne le sont pas) à moins de disposer d’une norme morale objective, non construite culturellement, qui permette de les départager ? Et d’où viendrait un tel absolu moral transcendant, s’il n’y a pas de Dieu ?
Ces conceptions contemporaines de l’identité et de la liberté sont, à bien des égards, en contradiction l’une avec l’autre. (La vision de l’identité est individualiste et freudienne ; la vision du pouvoir est marxiste et nietzschéenne). Pourtant, au cours des 20 dernières années, elles ont fusionné et sont devenues dominantes et omniprésentes, en particulier dans nos médias populaires. Les comédies romantiques, les séries, les dessins animés, les Disney et autres films pour enfants, tous reprennent ces croyances et les intègrent dans le récit héroïque de notre époque (celui qui est décrit au début de cet essai). Le sens de la vie consiste à déterminer qui l’on est et à se défaire des chaînes d’une société oppressive qui refuse de nous accepter et de nous inclure. C’est cette histoire qui doit nous guider dans nos décisions de vie et qui doit servir de valeur commune à une société libre.
Il est indéniable que nous, chrétiens, ne pouvons pas défendre de manière plausible l’éthique sexuelle biblique quand, à bien des égards, face à ces conceptions contemporaines de l’identité et de la liberté, nous nous sommes trop adaptés – quand nous ne les avons pas adoptées – dans notre manière de prêcher et d’exercer notre ministère. Certains ont souligné que la philosophie du travail jeunesse des évangéliques a été très centrée sur les émotions pendant des années. L’accent n’a pas été mis sur la théologie et la doctrine bibliques, mais presque exclusivement sur la manière dont le Christ renforce notre estime de soi et répond à nos besoins émotionnels. L’évangile de la prospérité, les Églises et les ministères sans membres ni discipline, les méga-Églises orientées vers le public – tout cela s’adapte fortement à la culture de l’individualisme expressif plutôt que de la remettre en question.
Conclusion
Tant que les gens de notre culture auront ces conceptions de l’identité et de la liberté, ils ne pourront pas trouver plausible la vision chrétienne de la sexualité. Par conséquent, aucune apologétique chrétienne de la sexualité ne peut avoir d’impact réel si elle ne consacre pas du temps et des efforts à révéler la nature profondément problématique de ces croyances d’arrière-plan.
En bref, notre apologétique de la sexualité ne peut pas se contenter de parler de sexe. Ce n’est que dans un cadre biblique convaincant d’identité – être en Christ et être disciple, se perdre dans l’amour et le service de Dieu afin de trouver son vrai moi (Matt. 10:39) – que tout l’enseignement chrétien sur la signification de la sexualité aura un sens.